Des-terres-minées! est un projet qui ouvre des espaces de paroles et de réflexions collectives, à travers des perspectives féministes anti-coloniales, sur les thèmes du territoire et des enjeux extractifs. | Durant la tournée du projet, nous avons rencontré et interviewé Denise Jourdain, femme innue de Uashat, une communauté sur la Côte-Nord. Quelques extraits… |
C’est quoi le territoire pour toi ?
Le territoire pour moi, c’est mes origines, c’est là où toute mon histoire se trouve, c’est là où toute ma famille a grandi, c’est là où tous mes ancêtres ont vécu, c’est leur chez eux. Pis moi j’ai pas côtoyé ce territoire là autant que je le souhaite, étant donné que y’a eu la coupure, nos parents ont connu la vie sédentaire par la force des choses à cause des pensionnats indiens puis le travail rémunéré. Ca a changé vraiment, y’a eu un changement de mode de vie chez nos parents. Puis le territoire, comment je pourrais dire ça, c’est mon identité ça. Comme je disais, un Innu peut pas être divisé du territoire […].
Pour renforcer notre identité en tant qu’individu, si on n’a pas cette chance là d’être en contact avec le territoire, on aura beau faire toutes les thérapies du monde que ça viendra pas guérir le cœur. Ça viendra pas guérir l’essentiel d’un Innu […].
Je pense c’est Jean Charest qui avait annoncé le Plan Nord puis qui disait, le territoire québécois, ben j’ai dit, je l’amène moi sur le territoire de mon père, voir s’il va se perdre ou pas, s’il est capable de retrouver son chemin, on va savoir qui est propriétaire du territoire. Puis moi là j’aurais juste pris des repères que mon père m’a donné, […] mais lui, il aurait peut-être crevé là […].
Qu’est-ce qui peut menacer le territoire ?
Première des choses, ça menace nos droits ancestraux. Dans le terme juridique les droits ancestraux c’est nos pratiques culturelles, nos méthodes de chasse, les périodes de chasse. Tout ce que le Plan Nord annonce, c’est toute l’exploitation de la ressource, qu’elle soit hydraulique, la ressource forestière, minière puis tout. Le Plan Nord il a tout ciblé où se trouve la ressource naturelle. Dans le sous-sol, même… Avec la coupe de bois, la foresterie […].
Là où on avait l’habitude probablement d’aller chasser le caribou, chasser la perdrix blanche au nord de Schefferville, ou chasser, tendre les collets pour le lièvre, probablement qu’on pourra plus, parce que ça va être tellement détérioré, contaminé. Puis peut-être qu’à un moment donné le gibier y sera plus comestible, on sait pas par où ils passent eux autres ? […] Si l’eau n’est plus buvable puis si le gibier n’est plus comestible, avec toutes les maladies qu’eux autres aussi peuvent récolter, de toute la pollution que les mines font. Qu’est-ce qu’on va être, qu’est-ce qu’on va dire à nos enfants ? Un jour nous étions des nomades, nous occupions le territoire, nous mangions…
Est-ce que tu voudrais nous parler de ta bataille pour le territoire ?
Moi je vous dirais quand le conseil de bande a signé l’entente SM3[1], Sainte-Marguerite 3, c’était dans les années 90-94 que ça a été signé […]. J’ai commencé ma révolte là […].
Après ça y’a eu la deuxième entente, y’a eu le lac Bloom[2], la compagnie minière qui voulait exploiter, c’était dans les années 2008 […]. Déjà là je me posais la question, de quels droits ils ont négocié ? Y’a tu eu un référendum ? Ils nous ont tu posé la question ? […].
[Puis] y’a eu l’entente de principe[3] qui nous a été présentée avec Hydro-Québec […]. Puis là je te disais ma valeur en tant qu’Innu, la valeur de mes droits ancestraux, pour moi, dans ma tête, c’est de l’or en barre ! C’est pas en termes de une pièce, deux pièces… Là ils nous présentaient, ils offraient 80 millions sur 60 ans. C’est pas gros ça, sur 60 ans ! […]. Hydro-Québec il m’offre 1 pièce 18 par jour pour respirer ? J’ai dit c’est rire de nous autres ça là. L’entente a tombé […].
Le premier référendum ça a pas passé. Deuxième référendum, c’est le gouvernement du Québec qui veut signer cette entente là là. Je dis qu’est-ce qu’il vient faire là lui ? Il veut même pas reconnaître nos droits, il veut même pas reconnaître qu’on est les propriétaires du territoire puis là il s’immisce dans l’entente de principe d’Hydro-Québec ! Si on signait là, c’est comme un genre de traité avec le Québec ! Là ça avait pas passé non plus […].
C’est pour ça, moi je voudrais, que je sois reconnue, que mes droits soient reconnus. Je sais que j’ai de la valeur en tant qu’individu, que j’ai de la valeur, que mes enfants ont de la valeur, que mes petits-enfants ont de la valeur, que les générations qui s’en viennent, ce sont des Innu.es. Le lien avec le territoire, ils l’ont même pas encore connu. Puis là on signe des ententes, puis on sait même pas ce qu’ils vont devenir eux autres, ils vont devenir quoi ? Comment ça a détruit, les pensionnats. Comment les gens se promenaient dans la communauté à consommer, c’était comme des zombies… C’est quand même nos parents. Puis nous autres on devrait signer en pensant que c’est pour leur bien, quand moi je suis convaincue que si ils sont pas nourris de nos richesses, de nos valeurs, de notre histoire, de nos origines, si ils sont pas nourris de t’ça, ils sont rien, ils sont plus rien.
C’est là que tu t’es organisée par rapport à des blocages de route aussi ?
Ça c’est une autre histoire. Quand y’a eu le deuxième référendum, quand ça a tombé non aussi, le camp du non, on voulait s’organiser pour se faire entendre plus fort, on venait de gagner le deuxième référendum, mais le conseil voulait tellement signer, il avait la police de son côté. Puis on se disait, si on veut bloquer, si on veut ériger des campements pour dénoncer Hydro-Québec, on allait se faire ramasser direct par la police, car la police protégeait le conseil de bande. Puis on n’avait pas les moyens, on n’avait pas les sous, tsé aller chercher le bois, payer la nourriture pour les gens qui allaient occuper le territoire pour bloquer.
Probablement que le conseil de bande avait comme astuce de prendre des jeunes leaders de la communauté, leur commanditer le blocus, mais ça ils l’avoueront jamais, mais je l’ai compris sur le terrain, même avant ça. J’ai eu à un moment donné la visite de jeunes leaders à la maison chez nous. […]. Ah j’ai dit c’est quoi ça là c’te visite là, c’est rare ces gens là. Il dit Denise, il dit qu’est-ce que tu penses, on veut bloquer la route 138. Puis eux autres ils étaient du camp du oui là ! Ils ont renversé leurs positions ? […]. Puis là une autre visite puis là c’est de nouvelles personnes encore des jeunes leaders de la communauté. Ils viennent comme si, comme si ils venaient m’écouter, comme si j’avais un message exceptionnel à transmettre, comme si j’étais, comment je pourrais dire ça, la femme sage de Uashat. J’ai dit là, ça commence à être anguille sous roches. Troisième visite, je dis je va n’en mettre, j’va savoir jusqu’où ils sont prêts à suivre, pas à suivre mais à adhérer à mes idées puis adhérer à ma position puis tout ça. J’ai dit là là t’es là puis t’as l’air à manger tout ce que je dis là, tu gobes toutes mes paroles. Il dit oui je suis avec toi, j’ai compris puis tout ça. J’ai dit moi là, si tu me connaissais jusqu’où je suis prête à aller, j’ai dit j’suis prête à me faire tirer pour défendre le territoire. Il dit moi aussi Denise, moi aussi Denise. Es-tu vraiment sûre ? Il dit oui je te jure. C’est là que j’ai compris, c’est pas vrai c’est pas vrai que je me ferai tirer première chose, peut-être dans des cas vraiment extrêmes. Mais j’ai dit non, il faut que j’embarque… […]. Parce que je voulais, comment on dit ça, je voulais trouver une faille. Pour comprendre pourquoi qu’eux autres ils ont l’autorisation par le conseil de bande de bloquer la 138. Puis quand nous autres on voulait s’organiser on savait qu’on allait se faire ramasser […].
[En parlant du fils de Jeannette Pilot]
[…] il m’appelle, il dit Denise ils veulent rencontrer ben je dis propose de quoi, je sais pas propose quelque chose pour qu’Hydro-Québec refuse. Il dit ok […]. Il dit qu’Hydro-Québec mette 10 millions, qu’Hydro-Québec mette 10 millions sur la table […]. Hydro-Québec a accepté ! 10 millions ! Ils acceptent ça ! […].
Puis là quand le 10 millions est venu, les gens qui étaient sur le blocus, ils voulaient le 10 millions. Dans le fond le blocus là, c’était d’amener la population à dire oui. Puis j’allais être utilisée pour faire renverser la population à dire oui, mais je tenais mon bout […]. Lui qui voulait mourir, qui était prêt à se faire tirer avec moi là, avant qu’on tienne la séance d’informations, il dit Denise j’ai à te parler, j’ai dit oui, j’ai dit oui, c’est quoi ? Il dit Denise là à un moment donné il va falloir que tu acceptes la décision de la population. Si la population décide de vouloir signer l’entente il va falloir que tu l’acceptes. J’ai dit oui. Mais j’ai dit vous autres aussi vous allez devoir accepter si la population dit non, vous allez devoir accepter ça. Il dit ok. J’ai dit on se donne la main ? Là je venais de découvrir là, là il venait de se dénoncer pourquoi il faisait le blocus, il voulait qu’on dise oui à l’entente. J’ai dit on se donne la main ? Il dit oui. On s’est donné la main.
Puis là là on commençait la séance d’informations, tous les gens qui étaient venus me voir ils vantaient l’entente Hydro-Québec, le 10 millions comment ça allait servir tout ça. J’ai pas encore parlé, j’ai pas encore parlé. Puis là je dis j’va parler en dernier, j’va parler en dernier […]. Ça a été tellement rapide ma réflexion, je me suis dit, c’est venu là, est-ce que je vais léguer à mon petit-fils mes luttes, mes combats, est-ce qu’il va devoir se lever lui aussi, faire des barricades, faire des blocus de route, mener les mêmes combats que moi ? Moi j’ai hérité les combats de mon père, de ma mère, de mes arrière-grands-parents. Ça arrêtera pas ça ? Quand est-ce que ça va arrêter ? Quand est-ce que le Québec va reconnaître qu’on a des droits puis qu’il doit les respecter ? Puis j’ai retranscris le même message aux gens de la place. J’ai dit j’suis pas d’accord. J’ai dit non au premier référendum, j’ai dit non au deuxième référendum, [c’est] pourquoi à la troisième fois je dirai non aussi. Le 10 millions c’est parce qu’Hydro-Québec il veut vraiment signer cette entente là. J’ai dit parce qu’il a d’autres choses en vue lui aussi. Puis ça le barrage Romaine c’est la porte du Plan Nord. Pourquoi un gros barrage à La Romaine ? Pour aller alimenter toutes les minières qui vont occuper, qui vont détruire le territoire. Ça a pas passé. Ça a été non. Les gens de la place avaient refusé le 10 millions d’Hydro-Québec, puis ils avaient refusé aussi l’entente. On croyait que c’était fini, qu’on allait pouvoir continuer notre combat contre Hydro-Québec. Là j’étais, j’étais sous une injonction, contre… de pas nuire à Hydro-Québec, mais moi j’allais poursuivre, je voulais continuer ma lutte devant la justice. Mais derrière ça le conseil avait, c’est lui qui menait les ficelles.
Puis le troisième référendum, les messages que le conseil de bande disait, comment, il disait Oui à l’entente Hydro-Québec Non au Plan Nord ! Heille mon œil ! J’ai dit le monde es-tu assez bête pour gober ça ? […]. Hydro-Québec là, le barrage Romaine, c’est la porte, c’est ça qui va faire que tout va se développer, toutes les compagnies minières qui aspirent à faire de l’exploitation. J’en revenais pas. Mais ils l’ont réussi quand même. Là ils l’ont passé […] Ca a tombé oui […].
Pourquoi y’a beaucoup de femmes innues qui se lèvent pour le territoire ?
J’pense c’est le regard, les femmes là, la position des femmes innues, c’est le regard qu’elles portent à leurs enfants, à leurs petits-enfants, le regard qu’elles portent à la communauté, puis c’est le lien aussi qu’elles comprennent, elles comprennent le lien qu’il y a avec le territoire, puis c’est pour ça qu’elles veulent protéger le territoire.
[1] L’aménagement hydroélectrique de la Sainte-Marguerite-3 est composé d’une centrale hydroélectrique et d’un barrage, le barrage Denis-Perron, érigés sur la rivière Sainte-Marguerite par Hydro-Québec, à Lac-Walker.
[2] La mine de fer du Lac Bloom, proche de Fermont, a été exploitée par Cliffs ressources naturelles et fermée en 2014 puis rachetée en janvier 2016 par Champion Iron Limited, avec une promesse d’investissement gouvernemental de 26 millions.
[3] En lien avec le barrage La Romaine.